C’est Peter Wason, dans les années 60’, qui démontre l’existence de ce biais et le définit comme étant la tendance à ne retenir que les informations validant nos hypothèses (1). Il reste de l’expérience de Wason un test (2), réalisable facilement et témoignant de ce biais.
L’utilisation de l’expression « biais de confirmation » s’est ensuite élargie avec le temps et désigne désormais plusieurs « postures mentales » telles que la tendance à ne retenir que les informations compatibles avec nos opinions, mais aussi le fait re ré-interpréter quelque chose de telle sorte que nous ne soyons pas contredit (on parle alors d’effet de cadrage) ou la tendance à rejeter/invalider tout élément, même factuel, remettant en cause nos convictions. Bref, pour résumer, il s’agit de s’assurer qu’on a raison quitte à s’éloigner du réel. C’est une façon d’être qui nous fait confondre Croire et Savoir en nous affirmant à nous-mêmes : « Je le crois donc c’est vrai ».
On peut s’attendre à le trouver plutôt plus souvent (ou plus apparent) dans les univers idéologiques, mais dans la mesure où il s’agit d’un raccourci destiné à nous faire économiser l’énergie que nécessite une remise en cause, on le retrouve partout.
(1) On the Failure to Eliminate Hypotheses in a Conceptual Task – Quartely Journal of Experimental Psycholog
(2) Les 4 cartes de Wason – Blog de Gérard Villemin
Et une présentation plaisante de ce biais
Le biais de confirmation – La tronche en biais (vidéo - 15’23’’)
« C'est une habitude de l'humanité que d'utiliser la raison souveraine d'écarter de côté ce qu'ils ne peuvent se figurer. » . Voici peut-être la première phrase désignant le biais de confirmation, et elle fut prononcée avant même que son libellé n’existe. Nous sommes au Vème siècle avant J.-C et l’auteur se nomme Thucyclide.
Au XVIIème siècle, Francis bacon ne dira pas autre chose : «Une fois que la compréhension humaine a adopté une opinion, elle aborde toutes les autres choses pour la supporter et soutenir. Et bien qu'il puisse être trouvé des éléments en nombre ou importance dans l'autre sens, ces éléments sont encore négligés ou méprisés, ou bien grâce à quelques distinctions mis de côté ou rejetés »
Cela fait donc près de 3000 ans qu’on le sait : le biais de confirmation existe pour permettre d’avoir une opinion très rapidement, aussi sommaire soit-elle. Et le principal effet « collatéral » est qu’il enracine les préjugés, cultive la partialité avec au bout du processus, l’intolérance.
Mais revenons au XXIème siècle avec sa technologie numérique triomphante. Il ne vous certainement pas échappé que les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche filtrent les informations qu’ils vous proposent. L’objectif est de « vous garder » le plus longtemps possible. Donc il vous est proposé ce que les algorithmes trouvent de plus compatible avec ce que vous demandez.
Dit autrement notre biais de confirmation sert à un "profilage" permettant de définir pour chacun(e) d'entre nous une "bulle d'information" de telle sorte que nous soyons aussi peu contredit( que possible. On parle aussi d'économie de l'attention.
Si le biais de confirmation est à la fois aussi répandu et autant utilisé dans le marketing, c’est parce qu’il fournit une des satisfactions les plus recherchées : avoir raison. On peut alors distinguer trois tactiques :
- Le recours aux stéréotypes. Si vous commercialisez un produit ou service à destination d’un public identifié, utiliser les stéréotypes de ce(s) groupes va améliorer votre visibilité. En marketing, les stéréotypes sont d'ailleurs nommés aussi "facilitateurs cognitifs », et le data-marketing s’en inspire beaucoup. Utiliser un stéréotype, c'est donc tout simplement renforcer les croyances existantes.
- Le solutionnisme. Le principe est assez simple : il vous faut un argumentaire répondant à une question commençant par "Comment ?" et proposer un discours rationnel et rassurant, et proposer de fournir une solution pratique fiable. Pourquoi réparer votre lave-linge est une question qu'on ne se pose qu'à la marge. Comment le faire est largement plus vendeur ... Et tout est dans la "vente" de la fiabilité, d'où le 3ème point.
- Les avis. Procédé très connu et très utilisé. Il consiste à générer et afficher/arborer une somme d’avis (positifs...) aussi conséquente que possible. Vous jouez alors sur deux tableaux : le FoMO et le biais de confirmation. Si en plus vous pouvez publier une success story (un utilisateur qui a miraculeusement résolu un problème insoluble grâce à votre produit/service) c’est parfait. L’objectif est simple : faire en sorte que le lecteur considère que plus il y a d’utilisateurs satisfaits, plus le produit/service est fiable et lui conviendra.
Le postulat est universel : la majorité a toujours raison. D’ailleurs, et c’est bien connu, avant que Galilée ne joue les anarchistes, la Terre était plate. Enfin, la Terre d’après l’Egypte antique...
Comment expliquer que certaines de nos évidences se révèlent n'être que des croyances infondées ? Pourtant, vous comme moi, nous sommes des êtres doués d'intelligence, rationnels, cultivés, étoussa ... M'enfin quoi !
La réponse tient en deux besoins : le besoin de cohérence et le besoin de stabilité
Sauf à élever des vers à soie en Terre Adélie, nous sommes bombardé(e)s d’informations, perpétuellement sollicité(e) par les médias, les collègues, les ami(e)s, la famille voire même les voisin(e)s. Pour donner un avis, pour partager une soupe aux poireaux et une opinion sur le dernier buzz-qui-tue. Nous sommes perpétuellement incités à donner un avis. Et pour qu'il soit crédible, il doit être argumenté, issus du produit de la Raison. Or ce dont nous ne nous rendons que rarement compte, c’est que la plupart de nos raisonnements sont biaisés et que la rationalité n’est souvent qu’un paquet cadeau destiné à rendre présentable un cheminement intellectuel et psychique fait de raccourcis. De biais ...
Et quoi de mieux que les convictions historiques et les préjugés culturels pour construire un avis ? Rapide à fabriquer, pas cher, prêts à l'emploi, ces jugements en libre-service ont tout pour plaire. Parce que franchement, réévaluer perpétuellement le traitement de chacune des questions qui se posent à nous, c'est épuisant. Les raccourcis sont là pour nous faire faire des économies ? Profitons-en !
Pouf pouf
Le biais de confirmation n’est problématique que si on en ignore l’existence. Et encore. Parcourir l’ensemble des tabloïd pour aller chercher LA preuve que votre voisin est un reptilien en provenance d’Alpha du Centaure ayant changé d’apparence via un transmutateur positronique et ourdissant une extermination du quartier nord-est de votre ville ne pose de réel problème qu’à partir du moment ou vous mettez la vie de quelqu’un en danger. Pour le reste, tant que vous ne vous faites pas de mal, ma foi ...
Lewis Carroll disait : « Nous sommes ce que nous croyons que nous sommes ». Mais « le monde » n’est-il pas d’abord ce que nous croyons qu’il est ? Et résonne la phrase de Jacques Lacan : « Le réel, c’est quand on se cogne ».
Un premier point : par définition presque, le biais de confirmation ne peut être combattu par un contradicteur puisque le statut même de contradicteur vous discrédite. Chacun(e) d'entre nous est donc seul(e) avec son biais, qu'il cultive ou dont il se méfie.
Un des univers où l'on attend une grande distance d'avec le biais de confirmation est l'univers dit "scientifique". Or un chercheur, c'est (ou ce devrait être) quelqu'un qui passe son temps à essayer de démontrer que son hypothèse initiale est fausse (ou limitée).
Le plus grand ennemi du biais de confirmation est donc la curiosité et la meilleure façon de s'en prémunir est de cultiver le débat, de laisser s’exprimer la contradiction, d'accepter l’altérité comme aussi légitime que notre « normalité ». Et lorsque tous les locuteurs sont sur ce même mode, le biais en question a toutes les chances de voir son aire d'influence diminuer.
Sur un ton très comparable :
Résister au biais de confirmation – Xerfi Canal (vidéo – 4’02’’)
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