L’effet de halo : notoriété et contamination

Parmi tous les biais qui nous affectent, certains sont plus célèbres et d’autres plus quotidiens. Mais le cumul est possible et l’effet de halo combine les deux : célèbre et quotidien. De l’illusion de transparence à l’évacuation de la nuance, l’effet de halo rétrécit le champ de conscience pour permettre de disposer d’un jugement le plus rapidement possible avec un minimum d’effort. Plus besoin d'argumentaire, inutile de s'informer : vous voulez un avis ? Voici le préjugé. Quant à une éventuelle thérapie par l’explication, dans la mesure ou l’effet de halo rend sourd à toute argumentation il faudrait présumer que prêter l’oreille à un sourd lui rend l’audition. On est mal partis. Car ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce biais : en connaître l’existence et l’importance ne suffit pas à en réduire l’incidence (1).
 

« On ne respecte pas un Indien sans ses plumes »

L’effet de halo, encore appelé « biais de notoriété » affecte donc le jugement que l’on porte sur une personne (ou les propos qu’elle tient) en fonction d’un élément (ou un petit nombre d’éléments) qui vont être estimés représentatif de ce qu’elle est. Dit autrement, si une caractéristique d’une personne vous la rend « positive », vous allez accréditer plus spontanément ses autres caractéristiques et/ou son discours, et inversement une personne affectée d’une caractéristique négative sera « spontanément » discréditée. Il s'agit donc d'entremêler apparences et représentations pour obtenir un jugement de valeur. Les attributs socialement marqués (aspect physique ou éléments de tenue vestimentaire par exemple) sont à cet égard très puissants et quiconque s’est interrogé sur le rôle de la cravate (pour les hommes) ou du décolleté (pour les femmes) dans un entretien d’embauche en sait quelque chose. L’entretien d’embauche est d'ailleurs un excellent contexte pour étudier l’effet de halo (2).

On parle aussi de « biais de contamination » dans la mesure ou l’appréciation que l’on va avoir relativement à un seul élément de la personne (la voiture qu'il conduit, par exemple) va « contaminer » le jugement d’ensemble. En quelque sorte, on peut imaginer un raccourci du style : « Il a une Citroën V8 donc ça doit être un riche patriote français, or moi j’en suis un donc c’est quelqu’un de bien ». Le poids des apparences est un élément essentiel de l’effet de halo et en ce sens on va le trouver souvent associé au biais d’autorité et au biais de conformité. Le lien avec la notion de rumeur , et donc de réputation, est bien entendu très fort, or la rumeur est à la foule ce que le mythe est à une société : une morale y est plus ou moins cachée. 

On ne dira jamais assez l’importance de la réputation dans l’organisation d’un ordre social. J.M. Keynes, qu’il va être difficile de traiter d’anarchiste, le disait lui-même : « Il vaut mieux échouer avec les conventions que réussir contre elles ». Celui qui, avec finesse et non sans humour, décrivait l’univers des marchés financiers en les comparant à un concours de beauté (certes un peu particulier dans ses règles) disait : « la valeur d’une action n’est plus une donnée a priori , elle est étroitement dépendante du jugement que la communauté financière porte sur elle » (3). Dit autrement, l’opinion que les autres ont sur quelque chose (ou sur quelqu’un) pèse plus lourd dans sa pérennité, sa reconnaissance – économique, morale -, que la valeur intrinsèque, l’utilité réelle, l’intérêt de ce quelque chose ou de ce quelqu’un. C’est ce que fait l’effet de halo en tant que fournisseur de préjugés : il fournit des évidences qui valent pour vérités par le simple fait qu’elles sont partagées par votre groupe social. On n’est pas très loin de la pensée magique.
 

Halo ? Non mais halo, quoi ! On fait comment pour s'en débarrasser ?

Lorsque, il y a longtemps et avant même de connaître l’existence de l’effet de halo, je découvris en tâtonnant la force extraordinaire des préjugés, je soupçonnais un gourou gaulois ( Pifométrix, surnommé l’Homme au Doigt Mouillé) de nous avoir initié il y a longtemps à la religion de l’à peu près. Las ! Je me suis fourvoyé. C’est en fait un certain Edward Thorndike (1874-1949), essentiellement connu pour avoir jeté les bases du comportementalisme (behaviourisme pour les amateurs d’anglicismes) qui a empiriquement démontré son existence. Et Solomon Ashe (1907-1996) en démontra l’importance une trentaine d’années plus tard (années 50’).

Le comportementalisme fonde ses analyses sur une logique de renforcement (ou feed-back). Le postulat est de considérer que les apprentissages s’effectuent de façon aléatoire d’abord et que les renforcements (positifs ou négatifs) font qu’un individu ou un animal va acquérir un savoir-faire (celui issu de renforcements positifs) et délaisser les choix qui ne produisent pas d’effet positif. Mon propos n’est pas de commenter cette théorie, mais de contextualiser l’approche analytique de ce phénomène. Le strict comportementalisme ne suffit pas à tout comprendre et que je ne peux qu’avouer n’avoir aucune belle explication complète et lumineuse à vous proposer. Par contre, il est avéré que nous sommes tou(te)s concerné(e)s, et qu’un peu de prudence dans les jugements et de mesure dans les affirmations péremptoires permet au moins d’en atténuer les effets.


L’effet de halo : comment emballer le quotidien sans réjouir qui que ce soit

Mais pourquoi se priver après tout ? Est-ce donc si grave ? Quelles peuvent être les conséquences de l’effet de halo ? Facile : Elles sont quotidiennes, universelles et potentiellement meurtrières

- Commençons par la politique. En 2015 paraissait une étude témoignant de ce que les choix électoraux sont largement impactés par l’apparence du ou de la candidate (4). Et bien que je mette les deux genres à la phrase précédente, il suffit de regarder les assemblées pour mesurer combien la politique semble prioritairement un fait masculin. En 1993, en France, 6 % de femmes siégeaient à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire autant qu’en 1946. Vous avez dit « chasse gardée » ?

- Autre univers savamment (c’est le cas de le dire) concerné par l’effet de halo : la science. Datée de 2021, canadienne, l’étude fait un tableau passablement noir de l’acceptabilité des publications scientifiques émanant de femmes (5). Ce qui, bien entendu, conduira les esprits éclairés par un réverbère en fin de vie à conclure que les femmes sont moins aptes au raisonnement scientifique que les hommes. D’ailleurs l’idée que les hommes et les femmes n’ont pas le même cerveau continue d'agiter "un certain Landerneau". Si jamais l’Humanité progresse sur le chemin de la conscience (ce qui reste à démontrer), on sent bien que plus le sujet est simple plus les ralentisseurs sont puissants.

Ces questions sont importantes, sans aucun doute. Mais il y a à peu près autant de choses importantes dans le monde que de poils sur un chameau. Intéressons-nous donc aux questions graves : les préjugés esthétiques. Oui oui, l’apparence physique comme élément conditionnant le jugement que l’on a sur autrui n'est pas un sujet important, c'est plus qu'important : c'est grave.

Ca vous fait sourire ? Profitez-en !

Je ne vais pas m’attarder sur les critères d’apparence déterminant l’attractivité sexuelle, justifiant les discriminations à l’embauche ou « expliquant » les clôneries en tous genres. Non, c’est autre chose que je souhaite évoquer. Cet « autre chose » tellement difficile à nommer que c’en est innommable : « L'utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif » (5). Quand le Bien et le Mal sont mis en scène sur fond de stigmatisation et de génocide. Le seul effet de halo ne saurait expliquer toute l’horreur. Mais il y a participé. Activement.

« Potentiellement meurtrières » disais-je donc au début de ce chapitre.

 

« L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence » (Averroès)

 

Ressources citées

(1) She just doesn't look like a philosopher…? Affective influences on the halo effect in impression formation - European Journal of Social Psychology

(2) L'effet de halo, ou comment votre première impression vous dupe – welcome to the jungle

(3) : À propos d'économie et de finances : l'actualité de Keynes - cairn info

(4) Halo Effects and the Attractiveness Premium in Perceptions of Political Expertise – American Politic Research

(5) : Parité des genres dans les publications scientifiques : encore du travail à faire – affaires universitaires

(6) : L'utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif - cairn info
 

Et une vidéo pour (re)découvrir ce biais de façon illustrée

L'effet de Halo — Science étonnante (vidéo – 7’42’’)

Où l’on apprend par exemple qu’aux USA, la taille (oui oui, la hauteur d’une personne exprimée en centimètres) influence le salaire ou que l’aspect physique détermine une sanction judiciaire